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"Alors, il fait ses nuits?"

  • Photo du rédacteur: chloetraube
    chloetraube
  • 29 juil.
  • 7 min de lecture

Photo de Helena Lopes sur Unsplash
Photo de Helena Lopes sur Unsplash

Une question qui cache bien son jeu

Vous vous réjouissez de présenter votre bébé à votre entourage, tout émerveillée que vous êtes par ce petit être fantastique que vous venez de mettre au monde: sa peau fine si douce, ses petits doigts qui s'enroulent et se déroulent autour des vôtres, les pieds potelés qui s'activent dans les airs, son odeur enivrante de bonheur. Et puis il y a vous, vous qui venez de traverser les mondes pour enfanter, qui vivez au rythme des tétées, des câlins, des changements de couches. "Bonjour, ça va? Félicitations! Alors, il fait ses nuits?" BAM! L'heure de la sentence à sonné et vous en ressentez immédiatement le poids dans tout votre être: c'est dans la réponse que tout va se décider. Mon bébé est-il un "bon" bébé, et moi, suis-je une "bonne" mère?"


Laissons le bénéfice du doute à la foule immense des auteurs de cette question. C'est peut-être avant tout une question rhétorique. Celle qu'on pose parce qu'on a entendu nos parents, grands-parents, oncles et tantes la poser avant nous, celle à laquelle on n'attend finalement pas vraiment de réponse et qui vient donner de la contenance par une entrée en matière qui donne l'air de s'intéresser. C'est à mon sens aussi une question qu'on pose pour se rassurer. Comme lorsqu'on demande à l'interlocuteur si "ça va", en n'attendant aucune autre réponse qu'un "oui", aussi rapide et vide que possible, celui qui ne fait courir aucun risque. Pourtant on le sait que la réponse vaut mieux qu'un simple "oui" - quand encore il a la chance d'être soufflé puisque bien souvent, dans le théâtre des convenances qui se jouent à ce moment-là, une réponse se fait à peine attendre.


Un curseur dévié sur les besoins primordiaux du bébé

Si cette question est souvent lâchée l'air de rien et sans arrières-pensées, elle véhicule des injonctions dont l'impact sur la parentalité peut être délétère. Comme le relate avec humour André Stern dans l'introduction de ces conférences, c'est aussi, parfois après quelques heures de vie à peine, la première étiquette collée sur le dos de notre enfant: "bon" ou "mauvais". Mais elle ne sous-entend pas seulement un jugement des capacités du bébé à faire ses nuits, mais surtout la capacité de l'adulte à être son parent qui fera qu'il dort comme la société aimerait qu'il dorme, c'est-à-dire tout d'abord comme indiqué sur les tableaux reportés dans les ouvrages sur la question, mais aussi et peut-être avant tout de façon à accomoder ses parents. Concernant le premier point, et comme l'explique si bien le Dr Rosa Jové dans son ouvrage "Dormir sans larmes", la plupart de ces tableaux indiquent des moyennes qui ne prennent compte d'aucune spécificité individuelle et encore moins régionales qui pourtant indiquent de fortes variations à travers le globe. Cette attente nie également un grand nombre d'éléments démontrés, à l'heure actuelle, par la recherche scientifique et notamment neuro-scientifique, quant au fait que le sommeil, s'il est acquis à la naissance puisqu'il se met en place durant la gestation, participe à un processus évolutif, et n'est pas le résultat d'un apprentissage. Elle nie surtout un principe fondamental et crucial pour la sécurité, non seulement affective - nous y reviendrons - mais aussi physique qui est que le bébé, qui grandit à une proportion inédite durant sa première année de vie - doit s'alimenter régulièrement. Les parents de nouveaux-nés dormant beaucoup et peinant à garder un éveil suffisant pour s'alimenter vous le diront: les réveils sont cruciaux pour permettre la bonne alimentation du nouveau-né et par là-même sa croissance.


Faire ses nuits, une invention du monde moderne

Avant d'avancer, changeons de perspective. Sous nos latitudes, nous vivons le plus souvent dans des logements comprenant plusieurs pièces, l'une d'elle étant dans bien des cas dédiée au bébé. Il a sa chambre et les parents la leur. Elle a peut-être été pensée et soignée avec la plus grande attention durant la grossesse, et son petit lit, choisi avec soin ou hérité pour s'inscrire dans la généalogie familiale, trône parmi les quelques éléments qui la constituent. C'est là que le bébé dormira après sa naissance. Elargissons le champs de vision, partons dans d'autres contrées, là où on ne vit pas entre quatre murs de béton, là où les éléments, la nature environnante, représentent potentiellement un danger qui fait qu'on dort les uns contre les autres, contact qui permet également de favoriser la chaleur lorsqu'elle est recherchée, mais qui répond aussi bien souvent à un principe très basique: le logement ne comporte aucune autre alternative ce qui fait que la question de dormir ensemble ou séparément ne se pose pas. Chacun dort donc comme il peut, s'accordant au rythme général. L'état de veille découlant de ces circonstances implique aussi un qui-vive et donc des réveils nocturnes des adultes plus marqués - le sommeil à l'âge adulte comporte, peu importent les circonstances, un nombre conséquent de micro-réveils. Il existe donc des adultes qui font leurs nuits, avec une multitude de réveils. Pas besoin d'ailleurs de s'éloigner tant ni de craindre l'attaque nocturne d'un animal sauvage pour en avoir conscience, de nombreux adultes ont une activité entre leurs cycles de sommeil et se lèvent pour répondre à l'un ou l'autre de leurs besoins ou réguler des charges émotionnelles qui refont surface durant la nuit. Ces présupposés indiquent donc que les adultes ne font pas nécessairement leurs nuits. Si nous réajustons la perspective, il semble alors que le fait qu'on ait conçu une chambre pour son bébé soit un premier facteur invitant à ce que le bébé y dorme - ce serait dommage que ce si joli berceau ne soit pas utilisé. On voit donc qu'on colle là des attentes qui diffèrent potentiellement en fonction de la catégorie de personnes et des réalités matérielles.

Le monde, tel qu'il est aujourd'hui, binaire dans la plupart des domaines, est également focalisé sur les besoins de l'adulte: l'adulte a besoin de ses heures de sommeil nocturne pour pouvoir répondre aux attentes sociales durant le jour: tenir sa maison pour recevoir ses visites, faire ses courses, sortir, et, très vite, retourner travailler. On comprend bien dès lors qu'il serait préférable que le sommeil du bébé se calque sur ce schéma. Or, en plus de nier les besoins du bébé, il nie les besoins de la mère en post-partum, nous aurons l'occasion d'y revenir dans un autre sujet. On peut alors aisément extrapoler que, si cette question est posée à l'attention du bébé, elle répond surtout à une inquiétude de productivité du parent: un bébé qui dort (dans son lit, dans sa chambre, toute la nuit, de façon ininterrompue) = un parent qui dort (dans son lit, dans sa chambre, toute la nuit, de façon ininterrompue) = un adulte productif aux yeux de la société moderne.


Le sommeil comme juge d'une sentence sévère

Le jeune parent qui fait face à cette question se retrouve donc dans une situation qui le met potentiellement face à un double échec: 1. son bébé ne dort pas toute la nuit alors que la question entendue à maintes reprises laisse penser qu'il le devrait, il n'arrive donc pas à faire dormir son bébé; 2. cela lui fait donc penser qu'il lui manque les compétences nécessaires pour élever (dans ce contexte, on perlerait plutôt d'éduquer) son enfant, il doute donc de ses capacités et de sa valeur propre. Dans le contexte potentiellement fragile dans lequel le parent peut se retrouver à ce moment-là (bouleversements hormonaux, fatigue liée à l'accouchement, manque de sommeil, fatigue nerveuse, isolement, etc.), le jugement que cette simple question peut amener le parent à porter sur lui-même peut être dévastateur, non seulement sur la perception qu'il aura de lui-même, mais aussi éventuellement sur le lien avec son enfant puisque, sous la pression de la perspective de ce qu'on lui fait apparaître comme un échec, il peut être amené à reconsidérer sa façon de l'accompagner en l'amenant dans une lutte pour le faire dormir. En découle alors un éloignement physique: le bébé retourne dans sa chambre, dans son lit et est coupé prématurément de son lieu ressource qu'était la chaleur de son parent qu'il avait jusqu'alors toujours connue; un éloignement émotionnel: le parent cesse éventuellement d'entendre les manifestations du bébé; une déconnexion de ses instincts primaires qui lui permettaient de reconnaître les besoins de son bébé et comment y répondre.


Questionner en conscience

Vous aurez peut-être envie de rétorquer en me disant connaître de nombreux parents épanouis aux enfants équilibrés qui ont "fait leur nuit" dès le retour de la maternité sans discontinuer, d'autres qui sont rapidement parvenus à faire entendre raison à leur progéniture qui s'est alors transformée en parfait modèle de dormeur de longues nuits durant. C'est le modèle que nous a imposé jusqu'à présent et depuis quelques générations - quelques générations seulement - le monde actuel. Rappelons-nous l'entourage rhétorique dans lequel est énoncée cette question: "ça va? il fait ses nuits?". Comme il est si commun de répondre par un "oui" à la première question, quand pourtant la réponse mériterait davantage de nuance, il en va probablement dans un très grand nombre de cas de la même manière pour la seconde. Dans ce cas, pourquoi poser cette question? Si on n'attend pas vraiment de faire face à la réponse honnête, ou si elle est posée sans intention préalable d'accueillir ou soutenir la personne à qui on l'a posée? L'éducation en matière de sommeil - l'éducations des adultes, entendez-moi bien - est nécessaire et la déconstruction de décennies de pratique de méthodes d'apprentissage du sommeil que certains nomment dressage est à mon sens primordial. Au-delà des bienfaits sur le développement de l'enfant, à commencer par celui de l'attachement sécuritaire et de la relation saine avec le sommeil, il en va de la santé mentale des parents à laquelle est immédiatement lié le bien-être du bébé.


Alors, la prochaine fois que vous sentez la question effleurer le bout de vos lèvres, pourquoi ne pas la remplacer par ces alternatives:

  • Comment te sens-tu, vraiment?

  • Veux-tu aller te reposer dans ton lit pendant que je garde ton bébé contre moi?

  • Puis-je me charger de plier ton linge propre et ranger ta cuisine pendant que tu vas profiter de ta sieste avec ton bébé?

  • Regarde-toi, comme tu es connectée à ton enfant et capable de déceler et répondre à ses besoins. Je t'admire!

  • Veux-tu que je t'apporte un petit plat pour soutenir ton organisme dans ce moment où le manque de fatigue se fait ressentir?

Ce ne sont là que quelques exemples qui expriment une disponibilité d'écoute réelle, un soutien précieux dans ces moments-là et qui renforcent le parent dans sa parentalité, peu importe l'âge de l'enfant. Car oui, le sommeil n'est pas toujours qu'une affaire de semaines ou de mois.


Et vous, comment avez-vous vécu les nuits hachées et la pression sociale face aux nuits complètes ou comment les appréhendez-vous?



© Chloé pour Mama Studio, 2025. Tous droits réservés. Le contenu de ce blog ne peut être reproduit sans autorisation écrite préalable.


 
 
 

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